Créé par le natif d'Eindhoven Ron Boots, figure centrale de la scène électronique néerlandaise, E-Live Festival célébrait le 19 octobre 2013 son quinzième anniversaire. Avec Beyond Berlin, ViTaL (VoLt + Tylas + Lamp), The Other Side of F.D. Project et le duo ARC, formé par les Anglais Ian Boddy and Mark Shreeve en tête d'affiche, la programmation de cette édition signait l'ancrage d'E-Live dans l’univers de la musique électronique vintage. Depuis 2009, le festival se déroule au centre culturel De Enck, à Oirschot, à quelques kilomètres au nord-ouest d'Eindhoven.
ARC (Ian Boddy et Mark Shreeve) têtes d'affiche de l'édition 2013 du festival E-Live 2013 |
Oirschot (Pays-Bas), le 19 octobre 2013
Marqué dans les années 70 par la Berlin School et les
sonorités nouvelles alors en provenance d'Allemagne, Ron Boots commence, au
milieu de la décennie suivante, à produire sa propre musique, devenant le pape
d'une Eindhovense School alors
émergente et aujourd'hui pléthorique. Mais il ne s'arrête pas là. Organisateur
né, Ron Boots est aussi à l'origine de la maison de disques Groove Unlimited,
également distributeur mondial de la plupart des labels spécialisés. Enfin,
c'est en 1998, qu'il fonde E-Live, festival de musique électronique
traditionnelle de renommée internationale. Nous aurons prochainement l'occasion
de reparler de la manifestation et de ses racines. Au cœur du centre culturel
De Enck, la scène assez large du RaboTheater permet à tous les musiciens du
jour, y compris les deux têtes d'affiche, de disposer à l'avance l'ensemble de
leur matériel avant le début du premier show, si bien qu'à l'ouverture des
portes, tout est déjà prêt, dans un indescriptible fouillis d’instruments
divers qui seront retirés au fur et à mesure. La méthode à l'avantage de
limiter la durée des pauses. Mais chacune d'entre elles permet à Rémy, l'un des
jeunes représentants de cette scène néerlandaise, de se produire dans une salle
secondaire, située au-dessus du RaboTheater, en compagnie des sociétaires de My
Breath My Music, une association locale destinée à la promotion de la pratique
musicale par les handicapés moteurs.
Beyond Berlin |
Beyond Berlin, le groupe d'ouverture de ce E-Live 2013,
réunit Martin Peters et Rene Bakker, deux musiciens néerlandais très actifs sur
Internet. Les deux hommes ne cachent pas leur nostalgie pour cette époque où
« musique électronique » signifiait avant tout synthétiseurs
analogiques et séquenceurs. Le duo produit donc une musique largement dominée
par ces derniers, de la pure Berlin School, improvisée sur des instruments
parfois fabriqués par leurs soins. Construit autour d'un enchaînement de motifs
séquencés, leur set permet de comprendre à quel point la structure même d’un
morceau Berlin School dépend de sa technique de fabrication. Il arrive ainsi
que la durée de ces longues improvisations ne tienne en fait qu'à la durée
nécessaire aux différents réglages des appareils. C'est le cas ce soir. Quand
Martin Peter doit modifier les branchements jack de l’un de ses séquenceurs, il
faut bien que René Bakker meuble avec quelques accords tandis que son partenaire,
perplexe, consulte ses notes en se grattant la tête avant de lancer,
finalement, la suite du programme.
VoLt & friends |
Après une courte pause, un autre duo, britannique cette
fois, succède à Beyond Berlin. Composé de Michael Shipway et Steve Smith, VoLt
a remporté cette année le prix du Meilleur Artiste international aux
Schallwelle Awards. Synthétiseurs analogiques, numériques, instruments virtuels :
VoLt puise dans toutes les ressources de la technologie. Mais si celle-ci ne
cesse d'évoluer, ce n'est pas nécessairement le cas du son lui-même. Ce soir,
la musique de VoLt reproduit des textures et des rythmiques très en vogue au
début des années 90 quand, grâce à la généralisation du sampling, les boîtes à
rythme commençaient à s'éloigner de la synthèse, avec plus ou moins de bonheur.
Plus proches de la pop que de la Berlin School, Shipway et Smith sont impliqués
dans divers projets parallèles. C’est ainsi qu’après vingt minutes en duo,
Smith quitte son collègue, le temps pour Shipway de reformer son autre duo,
Lamp, avec le guitariste Garth Jones. Puis c'est au tour de Shipway de quitter
la scène pour laisser la place à Smith et à ses deux amis de Tylas Cyndrome, le
guitariste Alan Ford et le batteur Les Sims. La scène est donc bien encombrée
lorsque tous les musiciens se retrouvent pour un ultime morceau.
F.D. Project |
Contraste radical lorsque Frank Dorittke, alias F.D.
Project, se présente à son tour devant le public. L'Allemand est seul derrière
ses claviers pendant toute la première partie du concert. Au programme :
textures éthérées et séquences lumineuses, dans la grande tradition de la Berlin School, dont
Frank est un inconditionnel, même s’il est avant tout guitariste. Dans la
seconde partie, il laisse ainsi défiler ses claviers en playback, s’attachant
seulement à ses solos, floydiens ou oldfieldiens selon l’inspiration. C’est
alors qu’Eric Van Der Heijden, son comparse du groupe MorPheuSz, qui compte
aussi Harold Van Der Heijden et Ron Boots, vient l’accompagner à la flûte (en
fait, un contrôleur MIDI à vent développé par Yamaha). Le public approuve bruyamment,
mais c’est probablement le dernier solo de Frank, intense et dramatique, qui
récoltera ce soir les applaudissements les plus nourris.
Ian Boddy & Mark Shreeve @ E-Live 2013 |
Lorsque le public investit pour la dernière fois le
RaboTheater, c’est pour constater que le capharnaüm a été entièrement remballé.
Exit les forêts de claviers et de racks, de cordons et de diodes. Exit, aussi,
les projections vidéo sur l’écran derrière la scène, remplacées par un rideau
bleu d’une sobriété absolue. Et au milieu de cette scène qui paraît soudain
immense, il ne reste plus, chacun entouré de son petit îlot d’instruments, que
deux hommes assis côte à côte : Ian Boddy et Mark Shreeve. Soit deux
légendes de la musique électronique britannique depuis le début des années 80. Ami
de longue date de Ron Boots, le premier fut très influencé par la Berlin School avant d’explorer
d’autres horizons, notablement l’ambient.
En solo ou en collaboration, il a publié un nombre incalculable de disques sur
les deux labels qu’il a fondés, Something Else et DiN. Quant à Mark Shreeve,
s’il a connu la gloire en écrivant les tubes de Samantha Fox, il semble avoir
parcouru un chemin inverse, passant des motifs minimalistes à la John Carpenter de ses années en
solo aux séquences typiques d’une Berlin School radicale avec son groupe
Redshift, au milieu des années 90. Depuis quinze ans, Boddy et Shreeve collaborent
sous l’appellation ARC.
Invités régulièrement à E-Live (ARC était la tête d'affiche
2007, Ian Boddy est venu en 2000 et 2006 en solo, Mark Shreeve en 2004 avec
Redshift), les deux hommes ont l’âge de sortir leurs lunettes de vue avant de
s’installer derrière leurs claviers. Mais dans un tel décor, ils respirent
l’élégance et la classe. Dès les premières notes de leur prestation, les
auditeurs savent qu’ils vont assister à un moment classique. Immobile et
concentré, Mark Shreeve ne prononce pas un mot, tandis que Ian Boddy, survolté,
agite sa queue de cheval au rythme des pulsations de leurs séquenceurs, monstrueusement
épaisses et continuellement changeantes, comme à la grande époque de Tangerine
Dream version Ricochet. ARC excelle
dans un registre sombre, majestueux, parfois angoissant. Mais le rappel, aérien
et mélancolique, dévoile la large palette d'émotions que le duo sait provoquer
avec si peu de matériel. Ce soir, Ian Boddy et Mark Shreeve démontrent tout
simplement qu'ils font et feront toujours partie des maîtres de l'électronique.
Contrairement au festival Electronic Circus, qui a diversifié sa programmation, E-Live reste fidèle à la Berlin School traditionnelle. Avec quelque 300 visiteurs cette année, son affluence reste comparable à celle de son homologue allemand. Et si la plupart des musiciens à l'affiche commencent doucement à grisonner, la relève semble assurée aux Pays-Bas en la personne de Jeffrey Haster, alias Synthex, invité par Ron Boots à présenter son second album et qui n'a que 15 ans. Soit l'âge du festival.
>> Interview de Ian Boddy
>> Interview de Ron Boots
Contrairement au festival Electronic Circus, qui a diversifié sa programmation, E-Live reste fidèle à la Berlin School traditionnelle. Avec quelque 300 visiteurs cette année, son affluence reste comparable à celle de son homologue allemand. Et si la plupart des musiciens à l'affiche commencent doucement à grisonner, la relève semble assurée aux Pays-Bas en la personne de Jeffrey Haster, alias Synthex, invité par Ron Boots à présenter son second album et qui n'a que 15 ans. Soit l'âge du festival.
>> Interview de Ian Boddy
>> Interview de Ron Boots